REGARDS sur la POÉSIE CONTEMPORAINE
La poésie est un domaine à part dans la littérature, domaine que l'on croit à tort réservé à une élite ou à des spécialistes,
Pourquoi ? Parce que le langage poétique n'est pas celui dont nous nous servons pour communiquer, Le poète s'exprime par des images, celles-ci nous déconcertent, elles ne passent pas par le filtre de la raison.
Prenons le vers de Jean-François Mathé « la neige est la robe du lendemain de tes noces » ce rapprochement de deux éléments du réel n'ayant aucun rapport entre eux c'est l'acte poétique -c'est en cela qu'on reconnaît la poésie, l'image est unique, jaillie de l'inconscient du poète après un long travail de concentration. Grâce à ce langage, dépouillé de nos vocables, stéréotypes et idéologies, le poète dit Yves Bonnefoy, doit nous mener au plus près de ce mystère essentiel mais simple, jusque-là inaperçu mais pourtant accessible à tous.
Ce mystère c'est celui de notre condition, faire sentir les limites entre le visible et l'invisible, dire le mal, la barbarie et montrer en même temps la beauté du monde,
Pour illustrer mon propos j'ai choisi deux grands poètes Philippe Jaccottet né en 1925 en Suisse, vit à Grignan depuis 1953 et Reiner Kunze né en 1933 à Erzgebirge, vit à Passau depuis 1977.
Philippe Jaccottet n'a cessé de s'émerveiller devant la beauté du monde en portant son attention sur les aspects les plus humbles comme les liserons
« les liserons des champs, autant de discrètes nouvelles de l'aube éparses à nos pieds »
s'interrogeant sur le mystère des fleurs
« Et s'il y avait un intérieur des fleurs par quoi
ce qui nous est plus intérieur les rejoindrait, les épouserait ? »
Percer le mystère c'est aussi avoir conscience de cette dualité ombre et lumière – ombre de la guerre, de la maladie, de la mort- Dans le recueil -Blessure vue de loin-(1954-1956) L'ignorant
« Ah le monde est trop beau pour ce sang mal enveloppé
qui toujours cherche en l'homme le moment de s'échapper »
Il s'interroge dans le poème intitulé -Monde-
« Poids des pierres, des pensées
Songes et montagnes
n'ont pas même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l'intervalle »
La poésie de Reiner Kunze est marquée par les persécutions totalitaires qu'il a subies pendant une partie de son existence, Son œuvre parle pour lui et pour toutes les victimes de la barbarie dans le monde, confronté à la misère, à l'injustice dans son enfance il se souvient
« charbon, herbe et ciel
ont prêté leur couleur à mon enfance
je me suis rangé sous cette bannière tricolore
courbé par la faim, éperdu
de beau
souvenir d'enfance
quand les hirondelles se rassemblaient pour partir
sur les fils des poteaux électriques
un barbelé d'hirondelles
séparait le village du ciel »
Mais le poète refuse de rester là et voit la poésie comme moyen de libération, puis il assistera à l'entrée dans Prague des troupes de Varsovie,
« Dans les ténèbres qu'ils
poussaient devant eux
ils s'égarèrent
ils s'installèrent
sur les ponts
et au lieu des essieux on entendait
dans leur sommeil gémir les hommes »
Plus tard installé à Berlin il évoque la chute du Mur en 1989
« Le Mur
lorsque nous l'avons rasé nous n'avions pas idée
comme il est haut
en nous
nous nous étions habitués à son horizon
maintenant nous voilà dépouillés
de toute excuse »
Kunze en 1998 pose toujours un regard vigilant sur le monde mais savoure la vieillesse à deux,
« Le tilleul
nous l'avons planté de nos mains
,,,,,,,
comme s'il avait un pressentiment ; il emplit
pour nous le ciel de fleurs »
Philippe Jaccottet , Reiner Kunze deux voix, deux regards, deux expériences de vie au service de la poésie,
Les voix des poètes sont multiples, à nous de trouver celle ou celles qui nous aident à mieux vivre les complexités de l'humain et du monde,
Suzanne Caillaud